Tribune Valeurs Actuelles du 14 novembre 2019 : « Développement des technologies : comment y faire face ? »

Le monde change, et il change à une vitesse jamais connue jusque-là. 

La croissance exponentielle de la puissance de l’ordinateur fait

converger de nombreuses technologies (nanotechnologies, biotechnologies, informatique ou sciences cognitives) et nous précipite dans ce que certains appellent déjà « la quatrième révolution industrielle. Nous avons à peine intégré et compris la troisième
(celle des nouvelles technologies de l’information) que nous voilà plongés dans une nouvelle : celle de l’intelligence artificielle, des modifications génétiques, des thérapies géniques et des nouveaux matériaux...

Le monde change, et il change à une vitesse

jamais connue jusque-là. La croissance exponentielle de la puissance de l’ordinateur fait
converger de nombreuses technologies (nanotechnologies, biotechnologies, informatique
ou sciences cognitives) et nous précipite dans ce que certains appellent déjà «
la quatrième révolution industrielle. Nous avons à peine intégré et compris la troisième
(celle des nouvelles technologies de l’information) que nous voilà plongés dans
une nouvelle : celle de l’intelligence artificielle, des modifications
génétiques, des thérapies géniques et des nouveaux matériaux...

Il s’agit d’un
progrès sur bien des aspects. Nous sommes en permanence connectés afin de
pouvoir mieux nous informer et prendre les meilleures décisions. Nous sommes
assistés dans notre vie quotidienne par des algorithmes pour faire à chaque
instant les meilleurs choix. Les technologies nous ont libérés d’un certain
nombre de tâches pénibles ou fastidieuses. Elles nous ont donné le pouvoir de
nous exprimer largement sur les réseaux sociaux à l’égal des experts ou des
puissants. Elles nous ont permis de mieux nous soigner, de réparer certains
handicaps, d’anticiper les maladies, jusqu’à imaginer un jour vaincre la mort.

Et en même
temps, avec 10 likes sur notre fil, Facebook nous connait mieux que nos collègues
de travail, avec 70 mieux que nos amis, avec 150 mieux que notre famille et
avec 300 mieux que notre conjoint[i].
La Chine installe sur son sol 172 millions de caméras de reconnaissance faciale
capables de nous identifier instantanément et nous épier à chaque instant. Elle
rassemble un nombre de données considérables sur le comportement de ses
citoyens afin de les noter et de leur attribuer des droits en fonction de cette
notation[ii].
De multiples officines, partout dans le monde, déversent chaque jour des
millions de fake news sur les réseaux sociaux et font dire au très sérieux
institut d’études Gartner qu’en 2022, les habitants des pays développés seront
plus exposés à de fausses informations qu’à de vraies[iii].
En novembre 2018, un scientifique chinois annonce la naissance de jumelles dont
le génome aurait modifié pour qu’elles ne puissent pas contracter le VIH[iv].
Des cliniques privées se multiplient dans les pays à la législation la plus
libérale pour proposer des « bébés à la carte » avec diagnostic
préimplantatoire, choix de la mère porteuse, choix du sexe, de la couleur des
yeux… et pas seulement pour les couples infertiles[v] ;
le phénomène est encouragé par les géants technologiques qui financent à leurs
employées la congélation de leurs ovocytes et parfois les frais de gestation
par autrui…

Promesse d’un
monde meilleur et danger d’un avenir qui vous échappe sont les deux faces d’une
même médaille : celle du progrès technologique. Ce n’est pas
nouveau ! Si ce n’est que les bouleversements qu’il entraine sont aujourd’hui
de plus en plus rapides, ses impacts potentiellement considérables pour l’homme,
et que ses principaux promoteurs ne sont plus les scientifiques ou les Etats
démocratiques, mais quelques géants privés ou régimes autoritaires, qui sont en
train de mettre la main sur des pans entiers de l’économie mondiale (données,
information, santé, finance, assurance, etc…) ou d’installer des systèmes de
contrôle tentaculaires.

« Le Monde
qui vient » sera-t-il dès lors un monde où chacun se rendra de plus en
plus transparent vis-à-vis de ces nouveaux pouvoirs technologiques ? Où
l’on choisira, sans s’en rendre forcément compte, d’arbitrer une large part de sa
liberté contre le sentiment d’une maitrise plus grande de son environnement et
de son destin ? Où la réelle capacité de s’informer, de décider, et demain
potentiellement de s’augmenter, sera réservée à une élite, faisant naître non
plus seulement des inégalités sociales mais de nouvelles inégalités
intellectuelles et biologiques ?

« Le Monde
qui vient » sera ce que nous en ferons. Il existe un chemin entre le modèle
techno-libertarien de la Silicon Valley, le régime techno-dirigiste de la Chine
et la tentation du retour en arrière ou du repli sur soi que nous proposent
actuellement les populistes de tous bords. C’est à nous, Européens, de le construire !
En imposant avec fermeté une réglementation aux géants technologiques pour
garantir la concurrence et protéger les libertés individuelles. En investissant
de manière volontariste sur l’éducation et la formation pour que chacun puisse
s’adapter à un environnement de plus en plus mouvant. En faisant en sorte que
la dimension économique ne soit pas la seule boussole de nos sociétés futures, mais
qu’on tienne compte également des dimensions sociales, environnementales et éthiques.
Sans les opposer d’ailleurs. Car de nouveaux modèles de business naîtront de
cette recherche d’équilibre. Il faut y voir une opportunité pour l’Europe de ne
pas se laisser distancer définitivement par les USA ou la Chine et de proposer
un modèle alternatif, plus soucieux de l’humain. A chacun d’entre nous,
politiques, entreprises, citoyens, consommateurs, de nous en saisir. Pour que « le
Monde qui vient » soit meilleur (ou en tous cas pas pire) que celui que
nous quittons !



[i]
Etude Facebook de 2015 auprès de 86 220 volontaires ayant un compte et
ayant accepté de répondre à un questionnaire de personnalité pour lequel ont
été comparées ensuite leurs réponses, celles de leurs collègues de travail,
amis, conjoints, et la prédiction de l’algorithme Facebook.

[ii]
Programme de « crédit social » expérimenté dans une quarantaine de
municipalités en Chine et ayant vocation à être généralisé en 2020 dans tout le
pays.

[iii]
Etude Gartner de 2017.

[iv]
Annonce faite en novembre 2018 par un chercheur chinois isolé mais considérée
comme crédible par la communauté scientifique.

[v]
Interview en 2010 de l’un des dirigeants de ces cliniques privées, indiquant
que dans son institut, sur 800 femmes ayant subi une FIV en 2009, 700 étaient
en parfaite santé et auraient pu avoir un enfant de façon naturelle.

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